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  • Nicole Beyou

Algérie

« Janine ». Elle sursauta à l’appel de son mari. Elle pensa une fois de plus combien ce prénom était ridicule et combien elle le détestait.

Elle avait été tentée bien des fois d’en imposer un autre mais n’avait pas osé pour ne pas faire de peine à son père qui l’avait baptisée ainsi en souvenir de sa première amoureuse morte un mois avant leur mariage et dont la tombe, dans le cimetière chrétien d’Alger, était fidèlement entretenue et fleurie. Sa seule audace

avait été d’en simplifier l’orthographe.

Janine était une « pied-noire » qui avait quitté l’Algérie à 15 ans la mort dans l’âme. A l’arrivée en France de la famille, ses parents avaient tourné avec vigueur et courage la page algérienne, interdi-sant à leurs enfants tout étalage de nostalgie.

Contrairement à beaucoup de leurs contemporains, ils éteignaient la radio s’ils entendaient les premières notes d’une chanson d’Enrico Macias et pour bien signifier la coupure avec leur ancien monde, ils avaient choisi de s’implanter dans les Ardennes dont le nom seul est synonyme de grisaille et de tristesse. Il est vrai que c’était une des seules régions où l’on pouvait espérer trouver facilement du

travail et se bâtir une nouvelle vie, ce qui fut le cas.

Janine, égarée dans ce pays sans lumière, se jura qu’elle retrouve-rait Tipasa, qu’elle vivrait au plus près de la mer, qu’elle reverrait les amandiers en fleurs et aussi le désert autour d’El Goléa. Mais avant cela il fallait bien vivre et tout mettre en

œuvre pour pouvoir un jour réaliser son rêve : quitter son exil et retrouver son royaume.

Avec le même courage que ses parents, Janine se forgea une carapace de femme forte. Elle revendiqua son appartenance à l’Algérie en se présentant au lycée comme « Djamila » et malheur à celui ou celle qui aurait osé la traiter de « bicote » ou d’un tout autre qualificatif insultant dont les Français de France gratifiaient les

premiers travailleurs immigrés maghrébins.

Son diplôme d’infirmière en poche, Janine-Djamila trouva un poste à

l’hôpital de Charleville-Mézières et y trouva aussi Kamel, ambulan-cier, fils d’un père algérien et d’une mère française. Les parents de Janine n’étaient pas ravis de cette histoire d’amour qui les reliait à leur si douloureuse histoire mais en parents aimants, ils ne s’opposèrent pas au mariage sachant combien leur fille avait souffert elle aussi de l’arrachement à l’Algérie.

Le mariage se déroula sans faste mais joyeusement autour d’un couscous dans une auberge ardennaise mais Kamel et Janine savaient bien que c’est à Tipasa et nulle part ailleurs qu’ils célébreraient leurs noces sans autre témoin que le soleil brûlant de l’été algérien.

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