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Fulgurante Cora Suvroni
On ne parlait plus que d’elle, on n’avait plus qu’elle en tête, pourtant personne ne l’avait jamais rencontrée. Personne n’aurait pu la décrire, ni donner d’elle des indications personnelles d’un ressenti ou d’une expérience vécue, de quelque ordre qu’il fût… Elle demeurait… fantomatique, être étrange aux franges de l’irrationalité, aux marges de l’esprit humain. Sans doute ce besoin de narcissique sinistrose, d’où émergeait ensuite l’espoir diffus et démesuré d’une rédemption possible ou de l’acceptation de la fin d’un monde. Pourtant, c’était certain, elle émergeait d’un autre univers. Elle envahissait les esprits des quatre coins du globe : tous et toutes, adultes comme enfants, quelques soient leur origine, sexe ou religion, étaient tombés sous influence. Tous avaient ressenti sa présence charismatique, sa réalité virulente aussi, … caustique, sidérante. Elle était dans l’air. L’atmosphère dégageait son insoutenable parfum, la lumière dessinait un halo éblouissant autour de son visage d’où se dégageaient deux immenses yeux électriques. Personne n’avait jamais entendu le son de sa voix, mais il résonnait au cœur de chacun de nous comme l’écho d’un hurlement strident, expression de la peur d’un châtiment ultime. Nos esprits hantés ne trouvaient plus le repos, nos nuits blanches devenaient les antres de l’apocalypse… Vampires et morts vivants, voilà ce que nous n’allions pas tarder à devenir, dans l’errance rigoureuse et l’utile orchestration de la dégradation du monde auquel elle nous conduisait méthodiquement. Ovationnée comme une déesse, à l’avènement de l’ère de la technologie informatique, elle avait créé ses univers : mondes virtuels orgasmiques, lieux de plaisir et de délectation où plus aucune souffrance n’affleurait. L’homme du XXIème siècle, pris au piège des avancées de l’intelligence artificielle, n’avait pas pris la mesure de cet optimisme déraisonné, autant que déraisonnable, et de cette escalade vers l’insatiable plaisir… Cora Suvroni allait augurer d’un monde nouveau…Elle avait su se glisser, fulgurance de l’image subliminale, sans se faire débusquer, sur tous les écrans existants sur la planète. Elle, rien qu’elle, juste quelques nanosecondes de son apparition, apportait à celle ou celui qui, par chance, captait son image foudroyante, une intense sensation d’exaltation. La voir était devenu la quête ardente de tout être vivant. Ressentir cette jouissance addictive, à côté de laquelle le bonheur simple de la vie n’avait plus prise, devenait l’unique et dernière source d’apaisement d’une humanité à la dérive, hommes, femmes, tous âges confondus. Nous n’allions pas sortir pas indemnes de cette quête mortifère… Nombreux, déjà, étaient ceux qui avaient traversé l’enfer, nombreuses étaient celles qui, atteintes par la fièvre ténébreuse, avaient frôlé la mort pour avoir cherché à l’approcher par des voies détournées. Via des moteurs de recherche hyperpuissants, Cora, après avoir relevé leurs adresses I.P., les avaient poursuivis et écrasés, chancres de la consommation d’énergie asphyxiant notre planète … Là résidait sa vraie mission, son unique combat : lutter contre la soif inextinguible d’énergie et de plaisir égoïste de l’être humain, enrayer sa course vers une inéluctable destruction de son environnement,… et de lui-même. Effigie d’une renaissance vouée à la recherche d’âmes pures, elle se frayait des chemins via Google, prônant le déréférencement et le droit à l’oubli, se frayant, de fait, des voies d’accès intraçables et inattaquables. Éthiquement fiable et farouchement écologiste, elle luttait contre la génération d’internautes qui, sous couvert de recourir aux avancées de l’intelligence artificielle, vouaient inexorablement à la destruction notre planète bleue… A raison de sept tonnes de CO2 par jour, générées par Google à lui seul, la lutte effrénée de Cora risquait de devenir vaine… Il lui fallait frapper vite et fort contre l’invisible ennemi… Ne lui restait qu’à peine quelques jours pour sauver l’humanité du désastre. Il y avait cet étrange algorithme de transmission d’informations, dont elle avait pris connaissance. Mais elle n’avait pas pu encore prendre en compte les possibles incohérences qui se poseraient dans les systèmes distribués censés recevoir les messages transmis et ceux-ci apparaissaient d’une grande complexité… Aucun feedback possible… Si elle échouait, la folie et la maladie mentale s’empareraient des esprits des jeunes générations, les plus âgées ayant peu de chance d'y survivre… Hébétée, elle se dirigea vers sa machine, qu’elle avait appelée ADA, et lança son monstre de la lutte numérique à venir : l’infernal Virus ACONOR. Tout était désormais inéluctablement joué.