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  • Monique L

Gaspard et Victor

(Thème Le milieu avec son double sens : l’environnement et le centre

1/ l’environnement

Portrait chinois :

Si le milieu était

un objet : une girouette

un personnage :

une œuvre d’art : le semeur

une qualité : sérénité

un animal : âne

un plat cuisiné : ragout

un lieu : un champ de blé)


Qu’est ce qui unit ces deux êtres ? tous les deux la quarantaine, ils ont pris l’habitude de se retrouver tous les vendredis à 17h au Bar des Amis. Fidèles au rendez-vous, leur place semble réservée. Les autres voient deux célibataires qui trompent leur ennui. Eux laissent dire, indifférents au sarcasme, ils parlent, parlent beaucoup, de vrais moulins, s’énervent parfois, rarement. Ils

affichent une complicité en discordance avec leur style vestimentaire que tout oppose. L’un porte pantalons larges à bretelles sur une chemise épaisse à carreaux, des cheveux hirsutes et une barbe mal taillée, l’autre crâne rasé tel un coq exhibe une crête centrale, affiche des bras musclés couverts de tatouages camouflés en partie par un blouson de cuir noir. Ce drôle de tableau

présente deux êtres de contraste avec chacun leur façon de dire leur indépendance. Pour un œil extérieur, cette association ne peut être qu’intrigante. A bien y réfléchir ils n’auraient jamais dû se

rencontrer. Leurs vies respectives sont autant aux antipodes que leur allure, cependant tous les deux ont en commun de se contenter de peu.

Gaspard a choisi d’échapper à une société qu’il ressent intolérable à beaucoup d’égards. Né d’une famille rurale modeste, il a connu très jeune le dur labeur des champs. Il était admis qu’il priorise la moisson à l’école. Les quelques rares occasions de rejoindre des camarades de jeu se faisaient en cachette, car cette perte de temps n’était pas admissible pour le père. Si aujourd’hui il se satisfait si facilement du spectacle de la nature c’est parce qu’elle l’a bercé depuis toujours. Il est fier de sa cabane vétuste, refusant tout confort industriel. Il s’en est fait une philosophie qu’il essaie de répandre sans succès auprès du monde qui dispose de toutes les facilités de la modernité. Pour seul compagnon, un âne.

Victor est un enfant d’ici, fils et petit-fils de métallos, il a suivi naturellement la filière avec l’idée bien ancrée que sa condition est génétique et qu’il ne peut rien changer. Il travaille à l’usine et habite la cité. Il fait valoir à Gaspard les avantages de la vie d’ouvrier : des horaires fixes, un salaire, des week-ends chômés et les congés payés. Son logement est modeste, mais dispose de l’électricité, de l’eau courante et du chauffage.

Dans le village sans histoire, les habitants mettent de la distance avec ces marginaux dont l’image

ne correspond pas à l’idée qu’ils se font de personnes honorables. C’est sûrement pour tromper cette exclusion qu’ils se sont naturellement rapprochés. Car même s’ils pensent se suffire à eux-

mêmes, ils sentent ce besoin de lien social.

Victor rapporte les nouvelles du monde vues à la télé, s’enthousiasme pour la puissance de la nouvelle machine sur laquelle il rêve d’être posté. Gaspard raconte le temps des semailles, de la

fructification, des cueillettes, du braconnage, celui juste nécessaire à la survie. Si l’un et l’autre manifestent un intérêt évident à ces échanges enrichissant chacun à leur façon, cependant aucun des deux ne s’imagine être à la place de l’autre.

Gaspard ne conçoit pas un instant passer ses journées enfermé dans une usine où l’air a depuis longtemps oublié l’odeur des champs de blé. Sortir de là pour intégrer ensuite un petit 2 pièces au 3ème étage d’un HLM décati ne peut à coup sûr déclencher chez lui la moindre envie. Les quelques commodités de confort minimum ne pourront pas le faire changer d’avis. Bien que sa cabane n’offre pas plus d’aisance, elle a au moins l’avantage de s’ouvrir sur une étendue sans limite.

Victor pour sa part a été effaré par la fragilité et la vétusté de la petite habitation de guingois de Gaspard. Son emplacement, perdu au fond des bois est aussi un problème, même s’il concède que la beauté de la nature est incontestable. Une simple balade lui suffit, mais il lui paraît impossible de s’installer dans un tel désert d’humanité. Il accepte cependant de passer quelques temps en ce lieu

avec Gaspard, à la recherche de bolets tapis sous les feuilles, ou pour déguster un bon ragout cuisiné sur un feu de bois. S’il sait aussi apprécier le silence avec le seul souffle du vent dans la

girouette, il n’y est pas habitué et tout bien pesé, il se sent plus à sa place dans son milieu contraint qu’il connaît depuis toujours.

La distance est trop longue pour que les aspirations se rejoignent ; l’un se nourrit d’espace et de liberté, l’autre se rassure dans une vie sans surprise. Mais une amitié de la différence est bien là.

« Quand on vit au milieu des roses on en prend malgré soi le parfum. »

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