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jour 5 - Face de Lune
de Anne Ballner Il fait beau, un temps de printemps, une bise mordante et un soleil radieux. Promenade seule, ce n’est pas un choix. Chemin de campagne au milieu des champs. Attention, pas plus d’un kilomètre. Je n’ai pas l’appli « distance à vol d’oiseau ». Je compte les sillons, comme Delphine et Marinette comptaient les peupliers. Au bout du chemin, apparaît le vieux lavoir. Pour une fois, je m’arrête pour en faire le tour. Et là, il me regarde. Un air étonné sur sa grosse tête de poisson. Il me raconte sa solitude. Les lavandières l’ont oublié. Leurs papotages lui manquent. Quoi de neuf au village ? Les promeneurs s’arrêtent juste à l’automne, pour ramasser les noix qui tombent à ses pieds. Que lui dire. Je lui parle des maisons sorties de la terre des champs, de la nouvelle école, de la crèche. Le village s’agrandit. Je ne lui dirai rien de Corona. Il a connu les deux dernières guerres, en est réchappé. Cette bataille ne le concerne pas, autant l’épargner. J’ai trop peur de voir des larmes inonder sa face de lune.
