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  • Raphaël K

L’espérance ou le goût de la culpabilité

Dernière mise à jour : 3 févr. 2021

Cette histoire se passe à une époque où les gens ne portaient pas de masques, s’embrassaient quand ils se voyaient, les cafés et les restaurants étaient toujours ouverts, si je vous assure, quelle horreur !… Les banques n’avaient pas encore décidées de supprimer la monnaie fiduciaire, et les vaccins ne déterminaient pas encore votre accès aux écoles, aux avions, aux magasins et à l’obtention d’un

compte en banque. C’était il y a très longtemps ! Les gens sans bruit sont dangereux, il n’en est pas ainsi des autres.

Un animal sauvage vous prévient du danger. Vous devez surtout vous en méfier s’il devient silencieux. Ces pensées trottent dans la tête de Frank alors qu’il est au volant de sa voiture sur la route du midi. Soudain, à la sortie d’un virage en tête d’épingle, il pile

devant une petite troupe de sangliers qui traversent sans se soucier du danger.

Frank en a des sueurs froides. Il reprend sa route avec un goût bizarre dans la bouche, une espèce d’aigreur désagréable. Même s’il ne croit pas au hasard, cette rencontre est un signe de mauvais augure. Il se remet doucement de ses émotions en redoublant de vigilance. Il se dirige vers le sud pour retrouver une ancienne

connaissance. Marc, son fidèle ami, l’a appelé pour lui demander de le rejoindre dans sa ferme au sud de Toulouse. Il n’a pas donné beaucoup de détails, mais Frank a ressenti l’angoisse de son ami.

- Frank, je pense que j’ai encore déconné et je ne sais pas comment m’en sortir.

- De quoi tu parles, Marc ? Expliques moi calmement. Je me doute que si tu me demandes de passer te voir, c’est pour une bonne raison.

- Ben tu sais j’ai dû placer mon père en maison de retraite.

- Oui je sais, mais tu n’avais pas vraiment le choix depuis qu’il est Alzheimer.

- Oui, sauf que je n’ai pas les moyens de payer l’Ehpad avec les revenus de la ferme et les aides ne sont pas suffisants.

- Tu as besoin que je te prête de l’argent ?

- Non ce n’est pas ça. Pour trouver d’autres revenus, j’ai un peu modifié ma production sur la ferme.

- Ben c’est pas mal, tu as planté des cultures qui ont un meilleur rapport. Et tu as choisis quelles plantes ?

- Du cannabis.

- Du quoi ?

- Tu as bien entendu c’est le meilleur rapport que j’ai pu trouver pour avoir des entrées importantes et rapides.

- Et ça fait combien de temps que tu fais ça ?

- Ça fait un peu plus d’un an maintenant. J’en suis à ma deuxième récolte.

- Et comment tu fais pour trouver des clients ?

- Ben justement c’est là que mes ennuis ont commencés. Les gens à qui je vends ma production ne sont pas très recommandables et en plus ils font de l’ombre à d’autres sur le marché avant eux, il y a des bagarres entre les deux factions pour avoir le contrôle du business.

- Tu veux dire qu’ils essaient de t’effrayer pour que tu arrêtes tes affaires avec les autres.

- C’est un peu ça en plus compliqué.

- Tu as toujours le chic pour te mettre dans des situations tordues. Qu’est-ce que je peux faire pour t’aider.

- J’ai décidé d’arrêter ce trafic et pour cela j’ai besoin de ton aide pour reprendre la ferme et négocier avec ces gens.

- Ecoute Frank, je dois descendre voir mon père dans la région, je passe te voir d’abord pour trouver un moyen de t’aider, tu me donneras tous les détails à mon arrivée.

Marc et Frank sont des amis d’enfance. Ils se sont connus à l’âge de cinq ans.

Marc a été abusé par son père et son frère quand il était petit, il en a gardé une culpabilité maladive malgré les longues séances de psychanalyses. Frank s’est toujours demandé comment Marc a pu garder des contacts avec sa famille. Il aurait dû les laisser tomber et couper toutes relations. Il pense même qu’il aurait dû les attaquer en justice pour marquer une réelle cassure avec toute cette perversité écœurante. Rien que d’y penser il en a toujours des nausées.

Frank est toujours resté attaché à son ami d’enfance et il a toujours essayé de le soutenir dans ses moments difficiles.

Le père de Frank, militaire de carrière a parfois manqué de tendresse, son éducation s’est structurée autour de règles rigides certes, mais rassurantes. Marc, de son côté, n’a jamais connu les limites sur lesquelles s’appuyer et les perversités qu’il

subissait lui semblaient faire partie du quotidien de chacun.

Frank a dû expliquer à Marc la différence de ses relations au sein de sa propre famille et celle de leurs autres camarades Enfin la plupart d’entre eux tout du moins.

Durant les trois années de la maladie de son père, Marc a été obligé de s’en occuper. Parti à l’étranger, son frère ainé même s’il était très à l’aise financièrement, se moquait autant de la santé physique de son père que de la santé psychique de son frère.

Marc se saignait pour payer la maison de retraite. Sa ferme périclitait et seule cette solution désespérée lui permettait de s’en tirer.

La voiture s’engage sur le chemin menant à l’entrée de la ferme. Frank la connait bien et il est soulagé d’arriver à la fin de ce long voyage. Il a du mal à reconnaître les lieux. Quelque chose n’est pas normal. En arrivant aux abords de la propriété de son ami il a un choc. Le paysage autrefois très boisé est dévasté comme après une tempête. Tout semble à l’abandon, aucune présence autour de la maison.

Frank coupe le contact et descend de la voiture. Pas d’animaux, pas de chien pour l’accueillir, comme si toute vie avait quitté les lieux. Il cogne à la porte aucune réponse. Il essaie de téléphoner à Marc, il tombe directement sur le répondeur. Il fait le tour de la maison mais ne distingue rien à l’intérieur.

Finalement il voit une fenêtre ouverte et se faufile à l’intérieur.

La maison est sens dessus dessous comme si les murs de chaque pièce avaient gardé l’empreinte de la violence qui venait d’avoir lieu.

Dans le salon il aperçoit le corps de Junon la chienne de Marc gisant dans son sang. Elle a été abattue par qui et pourquoi ? Frank a peur de continuer cette visite. A chaque nouveau regard, il craint de faire une nouvelle découverte macabre.

Il constate avec soulagement que la dernière pièce visitée est vide. Marc a sans doute été enlevé.

Il doit prendre une décision. Son cœur s’emballe. Le sang cogne dans ses artères. Le plus simple serait d’appeler la police. Pourtant il hésite. A cause des cultures et du risque de voir condamné son ami. Mais s’il ne réagit pas il le condamne. Il a une intuition. Le tiroir secret dans le vieux secrétaire. S’il y a un indice à trouver il sera forcément là. Le mécanisme se déclenche et apparaît sur un

papier froissé un numéro de téléphone entouré au stylo rouge. Il tente le tout pour le tout comme au poker et il compose le numéro.

A la troisième sonnerie, un« allo ? » pas très accueillant.

- Bonjour, je voudrai parler à Marc Allain s’il vous plait ?

- Vous devez vous tromper de numéro. Qui le demande ?

- Je suis son ami d’enfance Frank et vous qui êtes-vous ?

- Je vous dis que vous faites erreur.

- Écoutez Monsieur, j’ai fait 600 kilomètres pour venir le voir et j’ai trouvé votre numéro sur son bureau. Son chien est mort et sa maison dévastée. Il ne me reste plus qu’à appeler la police et leur donner ce numéro de téléphone. A moins qu’il soit possible de s’arranger autrement ?

- Je vous attends au 12 rue des Lavoirs dans une demi-heure.

Une demi-heure. C’est court pour se jeter dans la gueule du loup.

Après un coup de fil à son frère qui habite tout près dans la même région que Marc et lui avoir expliqué en détail la situation, ils mettent au point une stratégie. Ça peut marcher.

Dix minutes plus tard il se retrouve devant le numéro 12. Son cœur continue de battre la chamade. Il sait qu’il risque gros, mais il n’a plus le choix. Il sonne et un grand brun costaud avec une grosse barbe et une balafre au milieu du front lui ouvre la porte et le fait passer devant lui. Il lui lève les bras et le fouille pour vérifier s’il a une arme. Il longe un long couloir avant de rejoindre une petite pièce. Aucun mot n’est échangé entre eux. L’homme lui montre une chaise devant une table et Frank s’y assied sans discuter. La porte se referme et il attend. Les minutes passent.

L’attente est insupportable, puis une porte s’ouvre au fond de la pièce derrière lui. Il entend les bruits d’une chaise et une personne s’assied derrière son dos. Ses premières paroles ne sont guère engageantes.

- Ne vous retournez pas. De toutes les manières vous ne pourrez pas me voir.

Vous n’êtes pas dans une position pour demander quoi que ce soit.

- Pourquoi vous m’avoir fait venir alors ?

- C’est plus facile de vous éliminer ici qu’à la ferme. En plus vous faites le déplacement vous-même.

- Qui vous dit que je n’ai pas pris mes précautions avant de venir ?

- Je pense que vous bluffez.

- Je suppose que si vous avez kidnappé Marc c’est qu’il vous devait de l’argent ? Si vous m’éliminez il a peu de chances de vous rembourser.

- Pourquoi vous êtes son banquier ?

- En quelque sorte, je suis son ami d’enfance et je peux faire beaucoup de choses pour l’aider, mais comme je n’ai pas eu le temps de lui parler, je ne sais pas ce que vous attendez de lui.

- Je lui ai proposé ma protection mais il n’en a pas voulu. Ceux qui écoulent sa marchandise empiètent sur mes activités. Ils fournissent certains de mes employés et ce n’est pas bon pour mes affaires.

- Votre protection se monte à combien ?

- La moitié de ses ventes.

- Fichtre avec ça, la camarde n’a qu’à bien se tenir !

- A votre place je ne plaisanterais pas.

- Faite moi une proposition, je ne sais pas ce que représente la moitié de ses ventes.

- 50 000 € !

- C’est une plaisanterie ?!

- …

- Et si je vous les donne vous le libérez et on en parle plus.

- Jusqu’au prochain paiement.

- C’est-à-dire ?

- Tous les six mois. La même cadence que les récoltes jusqu’à ce qu’il se fasse arrêter.

- Pourquoi vous ne le livrez pas aux flics directement si ce n’est pas bon pour votre business.

- Vous êtes naïf ou le faites exprès ?

- Ok je récupère l’argent et je vous l’envoi où ?

- Vous le déposez dans la boîte aux lettres devant la maison. Les banques sont fermées, je vous laisse jusqu’à demain midi pour trouver l’argent sinon vous ne revoyez pas votre ami. Si vous prévenez les gendarmes c’est pareil.

- Qu’est-ce qui me prouve que mon ami va bien ?

- Je vous envoie une vidéo sur votre portable dans la soirée.

- Ok avant demain midi vous aurez votre argent.

- Maintenant vous allez attendre une dizaine de minutes avant de quitter les lieux. Mon homme de main vous libérera.

Soulagé de le voir quitter la pièce, j’avais gagné un peu de temps.

Je décidais de rentrer directement chez mon frère. J’étais trop fatigué pour m’occuper de la ferme et de Junon. Quel sale type ! Cette journée m’avait épuisé.

Mon frère n’étais toujours pas rentré. Je restais dans la voiture en l’attendant. Après une bonne demi-heure je le vis revenir tout radieux.

- Alors ?

- Ben j’ai suivi ton bonhomme très discrètement. Il ne s’est pas du tout méfié.

Il a pris la route directe pour la maison de retraite. J’étais un peu surpris et je me suis permis d’accoster un infirmier pour lui demander s’il connaissait le gros monsieur en costume gris qui venait d’entrer. Eh bien je te le donne dans me mille. C’est l’adjoint du directeur de l’Ehpad.

- Quoi ? Tu plaisantes.

- J’ai l’air de plaisanter…

- Il n’y a plus qu’à appeler la police. J’ai déjà enregistré notre conversation. Il parlait à travers un masque mais sa voix n’était pas vraiment modifiée.

- Je serai toi j’attendrai d’abord que Marc soit libéré. Avec la police on ne sait jamais. S’il ne le relâche pas on aura plus le choix. Mais on aura la possibilité de le piéger avec les billets de la rançon.

Le lendemain j’apportais les billets comme prévu et mon Marc était de retour dans sa ferme une heure après. Il avait une sale tête. Ils l’avaient bien arrangé mais il était content d’être à nouveau libre.

Nous avons pris tous les trois la décision de détruire les champs de cannabis et d’aller trouver la police. On pourrait toujours nier pour Marc, ce serait sa parole contre celle d’un truand. Nous savions que ça ne tiendrait pas même devant une enquête succincte, mais Marc devait supporter quelques désagréments, voir un peu de prison pour s’en sortir.

Il fut condamné à deux ans de prison ferme transformée avec sursis ; il avait permis d’accélérer une arrestation sur laquelle les gendarmes butaient depuis deux ans. En plus d’exploiter ses employés, le bonhomme faisait travailler plusieurs prostituées. C’étaient surtout elles qui consommaient le cannabis et elles devenaient de plus en plus rebelles.

Quand Marc revint négocier à nouveau avec le directeur de l’Ehpad pour le paiement du séjour de son père, celui-ci soulagé de ne plus être sous l’influence de son adjoint s’arrangea pour baisser les tarifs prohibitifs du séjour. Par la même occasion Frank et son frère en profitèrent pour négocier une place pour leur père.

Le père de Marc est mort très peu de mois après cette histoire. Marc a été le seul à accompagner son cercueil. Frank préférait laisser son ami gérer cette ultime épreuve sans lui. C’est beau l’espérance et les histoires qui se finissent bien.

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