- Monique L
La dernière page
A toi, Catherine, à la bonne étoile qui t‘a mise sur ma route.
Merci pour le cahier, il fut le mobile pour entrer dans une écriture inconnue tellement différente de la mienne. Selon tes conseils, je me suis fixé une page par jour. Au début je me contente de quelques
croquis de la plage de Stavros. Ensuite je les accompagne de petites annotations dans ma langue. Et puis je rencontre la sœur de Mario qui m’initie à la lecture des alphabets grec et latin, et à l’art d’une calligraphie qu’il faut prendre à contresens. C’est très contraignant pour ma main qui refuse la discipline. Je sais que cette brutalité que j’impose à mon corps et à mon esprit est le sésame pour renaître dans cette terre étrangère. De lignes de lettres répétitives je passe à la formation de mots que je traite comme des dessins. Comme on peut le constater sur ce message, le graphisme est encore incertain. Mais je progresse. Les phrases ondulent, se chevauchent, combinent les langues, un emmêlement en harmonie avec la confusion de mes pensées. Je ne sais plus d’où je suis, je me sens de tous les pays, aujourd’hui l’île est un peu ma maison. J’ai le sentiment que les pêcheurs m’ont naturellement adopté. C’est une chance. Ils me font travailler, ça me donne une petite indépendance, une impression de liberté retrouvée. Je suis arrivé au bout du carnet, ceci est la dernière page. J’en fais une affichette que je compte plaquer sur un mur à la vue de tous et de toi de retour. Le rouge c’est pour qu’elle soit plus visible en espérant que le vent ne la décolle pas.
