- Monique L
La Folie
Atelier du 15 et du 22/01/21
Thème : le danger
Tout s’est mis à tourner, comme s’il était impossible de se fixer sur un point. Un désert de repères, il ne fait pourtant pas nuit, mais c’est tout comme, une obscurité blanche et froide. La question est : dans quel sens ou dans quelle direction avancer quand on est enveloppé de rien. Au bord de la panique, il faut se recentrer sur soi, faire appel à la mémoire qui s’ouvre sur un grand vide.
Reprenons depuis le début, je m’appelle Hector, en espérant que cette vérité soit exacte. Personne autour de moi. Je suis seul, dans une atmosphère cotonneuse, personne pour m’apporter la certitude
que je suis bien moi.
Puisque les yeux me jouent des tours, ouvrons les oreilles. Un bruit sourd semble traverser l’épaisseur de ces ténèbres, un bruissement ou plutôt le glissement d’une eau qui fuit, un froissement intérieur différent des acouphènes qui m’habitent si souvent.
Comment se fait-il que je me retrouve dans cet espace étrange, comme télétransporté en appui sur une mer de nuages. Il me revient pourtant une ambiance surpeuplée, quasiment étouffante, avec une prévenance à la limite du supportable et puis plus rien.
Londres, je suis à Londres, je suis venu pour un concert et je me trouve dans le brouillard, un brouillard fidèle à sa réputation, épais, étanche qui vous séquestre sans prévenir.
J’ai voulu m’échapper trop vite de la foule envahissante et me voilà perdu, englouti dans cette purée pas plus rassurante, chargée d’histoires sordides d’où peut surgir le fantôme de Jack L’Eventreur.
J’ai conscience de l’étrangeté de la situation et de mon incapacité à faire le point. Le terme est des plus appropriés vu le flou artistique dans lequel je me débats. Ce trait d’humour me rassure parce qu’il me dit que ma capacité à la dérision n’a pas faibli et que je ne suis pas tombé dans une folie. Je me convaincs que si j’en suis là, ce n’est pas dû à un effet d’Alzheimer même si je reste
momentanément dans une incompréhension de temps et de lieu.
Cependant, mon esprit est embrumé à l’image de ce qui m’entoure. J’ai l’impression que mon cerveau m’oublie avec cette sensation d’être dans un rêve dont on m’interdit de sortir. Je lutte bras
et poings sanglés sur mon corps volontaire, mais impuissant.
Je me sens lourd d’une rigidité paralysante qui m’empêche de me prendre en main. Je me noie dans mon espace intérieur. Je suis en train de me perdre. Il faut que je sorte de là sinon la panique va faire son office, m’empêchera de traverser ce mur d’isolation.
A cet instant, me revient la technique du père : aller chercher les images agréables, les souvenirs réconfortants, les émotions positives. Mais le Mont Fuji, la blancheur de l’agneau, le goût de la violette, l’appel d’un grigri monté d’une pierre lapis Lazuli, rien n’y fait. Le mal est là insidieux, la psychose grandit, refuse tout signe de légèreté, entre avec ses hallucinations. Cette appréhension effrayante s’affiche comme une évidence impalpable. A la recherche de signes avant-coureurs, je m’enfonce dans mon passé désordonné. De cet imbroglio, des réminiscences lointaines s’animent
tels des acteurs sur scène qui m’appellent pour rendre hommage à mon intelligence bienveillante, mon soutien réconfortant, mon sang-froid éprouvé pour les autres. Dans ma conscience qui s’évade ces témoignages s’exhibent comme des sentinelles contre un danger imminent. J’ai le sentiment nouveau et bizarre de me dédoubler. Je me sépare. Ma part corporelle se vautre dans le lit douillet de la léthargie, ma part mentale a contrario se dresse, me dicte une position guerrière à la reconquête de ma certitude et de mon énergie. Ce jeu d’aller et retour entre ces deux composantes
ennemies ranime des sens dont je n’avais pas appréhendé l’endormissement.
Un voile se déchire, l’horizon s’éclaircit d’un orangé filtrant, le froid m’effleure et me fait frissonner.
Dans une lucidité encore flottante, je me réanime, ma conscience reprend sa place, sans pour autant comprendre ce que je fais là toujours piégé dans une confusion inexplicable.
Soudain une main sortie de nulle part prend contact. Je réalise alors que mes paupières sont closes.
Si c’est encore possible, je m’immobilise davantage, avec la peur de me trouver face à face avec mon agresseur. Malgré toute la volonté du monde, je suis incapable du moindre geste. Mon corps me désobéit, comme drogué. Le mot surgit alors comme une évidence, je suis drogué. Je n’ai aucune expérience dans le domaine, mais de tout ce que j’ai pu lire ou entendre sur la perte de soi, la désorientation, la déformation des perceptions concordent avec mon état désaxé. Le pressentiment se fait certitude. L’inquiétude suivante se porte sur le responsable de cette situation.
Dans un brouhaha de voix souterraines Hector ouvre les yeux sur un rideau de visages masqués.
Déplacé brutalement dans un univers inconnu, l’affolement est à son comble d’autant que son corps refuse toujours de lui obéir. La menace est palpable, maintenant qu’il se sait victime de quelques
escrocs qu’il sent penchés sur lui attentifs à ses réactions. L’image est trouble. Il a beau plisser les yeux, impossible d’accommoder. Ils lui ont pris ses lunettes. Il voudrait se débattre, mais il comprend qu’il n’est pas de taille et que sa survie dépend de sa docilité.
Puis la réalité prend corps progressivement. Les premiers mots lui arrivent brouillés. Les voix s’éclaircissent : « ça y est monsieur, vous êtes sorti d’affaire, il a fallu intervenir d’urgence et relancer votre cœur ».
L’anesthésie a enfoncé son corps, et son esprit un instant détaché a fait l’expérience de l’enfoncement. Hector est sauvé, mais garde en sourdine la connaissance de la folie.