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Le baiser
de Delphine Ne pas oublier le premier, donné dans une cour de récréation, à l’abri des rires. Oublier celui comme symbole d’un communisme agonisant. Ne pas oublier celui déposé, au milieu des larmes, sur le crâne velu d’un nouveau-né. Oublier celui qu’on a longtemps cru le symbole de la Libération et qui est, aujourd’hui, avec un regard neuf, le symbole de la domination. Ne pas oublier tous ceux qu’on a admirés et jalousés et qui ne sont que du cinéma. Oublier ceux qu’on a donnés comme des adieux. Ne pas oublier celui si sensuel et pur, qui est aussi bien l’œuvre d’une sculptrice Claudel, que de son amant Rodin. Oublier que sur beaucoup d’œuvres admirées, la femme s’en détourne et le refuse même. Ne pas oublier qu’en mars 2020, il est interdit. Oublier à quel point les appareils dentaires le rendent difficile. Ne pas oublier celui de la trahison et de la mort dans Le Parrain. Oublier qu’on s’entraînait sur nos avant-bras. Ne pas oublier la douceur et le parfum des peaux. Oublier une langue qui se perd. Ne pas oublier les lèvres peintes qui attirent les regards mais se refusent aux autres lèvres. Oublier le goût du sel après une baignade. Ne pas oublier les baisers des êtres chers, disparus.