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  • Monique Derrien

Le vieux monsieur

Chaque soir elle fermait les volets métalliques en prenant garde de ne pas se coincer les doigts.

Chaque matin, dès que le jour perçait, elle remontait la couverture et attendait le câlin de Minette. Petit rituel qui avait le don d'énerver sa mère qui, dès l'aube, fourrageait dans la cuisine. L'odeur du café se faufilait dans l'escalier. Ninon le humait avec délice. Bien au chaud elle se sentait protégée, heureuse.

Ce n'était pas pour énerver sa mère que Ninon prenait tout son temps. Non. Elle ne lâchait pas son projet qui était de prendre suffisamment de retard afin que sa mère finisse par dire oui et qu'elle accepte enfin que Ninon emprunte son vélo pour aller à l'école. Elle savait se faire douce, obéissante, un peu manipula-trice. Sa mère céda.

Ninon exultait, elle en rêvait depuis si longtemps et se lança sur la route, debout sur les pédales. Peu importe si elle n'arrivait pas à se hisser sur la selle, ce qu'elle voulait c'est pédaler très vite, se griser de l'air frais, odorant du printemps, crier au ciel sa joie, saluer tout sur son passage.

Le chemin qu'elle devait emprunter avait été défini par sa mère.

Ninon avait le temps. Une autre route, qu'elle ne connaissait pas, menait aussi à l'école, une route bordée de haies d'aubépine qui longeait un peu plus loin une usine. Ses parents lui en avaient interdit l'accès prétextant d'éventuels dangers, mais elle se disait que les parents ça voit des dangers partout.

C'était une belle matinée de printemps, l'école n'était pas loin. Elle s'engouffra sur la fameuse route avec un peu d'appréhension, on ne sait jamais.

L'usine projetait son ombre.

Elle distingua malgré tout une silhouette.

Un vieil homme, grand, fort avec un gros nez épaté, une moustache épaisse, grise. Il portait un pantalon très large, tenu par des bretelles sur une chemise à carreaux. Ses cheveux disparaissaient sous un béret.

Il dit de sa grosse voix enrouée.

« Bonjour petite, où vas-tu si vite ?

Tétanisée, Ninon ne pouvait plus ni avancer, ni reculer. Des sueurs froides couraient le long de son corps, ses jambes se mirent à flageoler. Elle aurait voulu appeler, crier au-secours, mais aucun son ne sortait de sa bouche.

Cet homme, elle en était sure, était méchant. Il lui voulait du mal. Tout chez lui la glaçait, son habit d'un autre temps, sa voix, ses paroles qu'il semblait mâcher et que faisait-il là, à cette heure. Ce ne pouvait pas être un ouvrier de l'usine, il était beaucoup trop âgé.

C'est comme si la terre s'ouvrait sous elle. Ne pas combattre mais disparaître. L'odeur de la terre fraîchement labourée venait à ses narines. S'évanouir, ainsi plus personne ne la retrouverait, ni le vieux monsieur qui allait l'agresser, ni ses parents qui ne manqueraient pas de la gronder copieusement.

Le vieil homme s'approcha. Il lui prit la main et la referma sur une balle verte.

Était-ce le contact de la balle souple, chaude, l'odeur de la terre ou bien cet homme qui venant vers elle ne lui sembla pas si redoutable, plutôt un vieux pépé bienveillant.

A l'observer attentivement, elle se souvint, qu'un soir, elle était supposée dormir depuis longtemps. Ses parents regardaient un film. Avec beaucoup de précaution, elle s'était levée sans faire de bruit, sans faire craquer les marches et du haut de son observatoire avait

regardé le film. Un homme en tous points pareil à celui-ci, un vieil homme dans une cuisine épluchait des pommes de terre et répondait aux questions d'un petit garçon. Elle se souvenait n'avoir aimé ni sa façon bourrue, ni son opinion qu'il exprimait avec conviction

mais ces deux là s'aimaient.

« Allez ma cocotte, vas, tu vas être en retard ».

Ninon avait à présent retrouvé confiance et de toute sa force se remit en route non sans avoir souri et remercié le vieux monsieur.

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