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  • Martine Bluteau

Les Exilés


Depuis la nuit des temps nous traversons des déserts, des montagnes, des fleuves, des océans. Sous des soleils brûlants, des neiges incandescentes, des tornades diluviennes, des orages incendiaires, nous marchons. Des Afriques lointaines, comme l’ont fait nos ancêtres qui ont peuplés le monde, nous les exilés, marchons à travers l’espace et le temps.

De l’Asie ancestrale, de l’Inde majestueuse, des Orients dévastés, des Balkans déchirés, persécutés, bannis, humiliés, sans répit nous fuyons. La misère, la faim, la peur, l’esclavage, les viols, les pogroms, la guerre, l’extermination.

Dans la douleur, nous laissons sur nos terres natales, des souvenirs d’enfants jouant dans la rivière, le sourire d’une mère, des sœurs, des frères riant le soir à la veillée sous le regard du père. Mais aussi des villages pillés, des femmes violées, des parents endeuillés que nous ne verrons plus.

Une odeur de curry ou de frangipanier, le goût du bortsch ou de l’huile de coco, d’un gâteau au fromage ou graines de pavot … Un gri-gri, un tissu, une boîte à musique, une chanson, peut-être une photo, nous relient à jamais à ceux qu’on abandonne.

Arrivés les mains vides mais le cœur plein d’espoir, nous avons rencontré quelques terres d’asile, nouvel Eldorado, utopie de bonheur ! C’est Pavel et Véronika les Slovaques, Cécilia et Luigi les Ritals, José l’Espagnol, Ahmed, Larbi les Magrébins. Dans les mines, les usines, sur les routes, les chantiers, dans les champs ou les vignes, nos bras sont bâtisseurs d’un monde qu’on veut meilleur. C’est Gheorghe, Mihaela, Anna et Maria venus de Roumanie, Seffhula d’Afghanistan, Sadou du Sénégal, Vladimir de l’Ukraine qui dans les hôpitaux, les hospices, les grands hôtels, les restaurants font le ménage, la plonge et vident les poubelles.

Pour arriver jusqu’ici nous avons dû braver la guerre, les militaires, la police, la prison, la religion, la torture, le froid, la faim, la peur. Nous avons cru alors à la vie plus facile, à l’exil derrière nous, mais ce n’était qu’un leurre ! Certains sont restés, ont même appris la langue, certains ont réussi, ont bâti des empires, mais quand le monde déraille, leur origine, leur accent, leur regard trop bleu ou leur peau trop sombre les trahissent. Là, aux yeux de ceux qui ont oublié d’où ils viennent, nous sommes tous, nous les exilés, des voleurs, des menteurs, des usurpateurs dont ils se débarrassent, nous renvoyant ailleurs.

Qu’importe si les bateaux chavirent, qu’importe la peur, la mort, il y aura toujours au petit matin dans le froid d’une montagne, dans la nuit noire d’une plage, le long des murs, des barbelés, des hommes, des femmes, des enfants, prêts à repartir pour atteindre leur rêve de Liberté et de Bonheur.

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