- Laurence de La Chapelle
Nom d'un chien !
Dernière mise à jour : 7 déc. 2020
Texte avec adverbe :
Où, quand, combien, pourquoi ? Je ne comprends plus rien. Ma digestion se fait lourde. Je suis affalé au milieu de la rue, là, concrètement effondré et goulûment repus. Lentement, j’ouvre un œil, puis le deuxième. Oh ! Miracle ! Mon regard s’est posé obstinément sur une paire de jambes qui pourraient bien faire mon quatre heures. Je ne peux attendre !
Effectivement, cette idée saugrenue ne fut pas du goût de tous ! C’est bien volontiers qu’on m’assénât 100 coups de bâtons, une rossée que je n’avais jamais imaginé recevoir et qui me laissa sans voix, le dos courbatu, et pas prêt d’oublier !
Concrètement, j’étais devenu aphone. Lors de nos promenades quotidiennes, mon maître avait beau envoyer des morceaux de bois dans le parc, je les délaissais, moi qui, autrefois, sautais, gambadais, jappais. Dernièrement encore, j’offrais généreusement ma fourrure au regard admiratif de ces dames dans les salons de beauté, le pelage soigneusement lustré par ma maîtresse. Que suis-je devenu ? Ô rage, ô désespoir, je suis un effondré, un Mastiff
inconsolable, ma seule étoile est morte et je me sens esseulé, concrètement vivant, aveuglement absent !
De partout on vient me voir, m’exposer les médailles de mes concours, mais rien n’y fait, je n’ouvre même plus l’œil, celui-là qui semblait si paresseux mais était, en réalité, à l’affût de
tout.
Aujourd’hui, c’est le printemps. Un oiseau ténu chante sur une branche. Soudainement, mes oreilles se dressent. Délicatement, je me redresse. Joyeusement, je remue la queue. Je revis.
Mon appétit s’aiguise. Je flaire la chair fraiche. Apparemment, personne n’a remarqué ma métamorphose. Effectivement, j’ai perdu de ma lourdeur, je passe inaperçu ! J’amasse ma musculature. Je me tiens prêt. J’ai retrouvé mes esprits. Le chat rampe sournoisement sur le tronc et traque l’oiseau. Et moi je sais bien qui va courir après le chat ! Vont-ils encore vouloir me frapper ?
Texte sans adverbe :
Qu’est-ce qui se passe ? Je ne comprends plus rien. Ma digestion se fait lourde. Je suis affalé au milieu de la rue. Effondré, repus, j’ouvre un œil, puis le deuxième. Oh ! Miracle ! Mon regard se pose, avec convoitise, sur une paire de jambes qui pourraient bien faire mon quatre heures. Je ne peux attendre ! Cette idée saugrenue ne fut pas du goût de tous ! On m’asséna 100 coups de bâtons, une rossée que je n’aurais jamais imaginée recevoir et qui me laissa sans voix, le dos courbatu. Je n’étais pas prêt d’oublier !
J’étais devenu aphone. Mon maître avait beau me lancer des morceaux de bois dans le parc, lors de nos promenades quotidiennes, je les délaissais, moi qui avait l’habitude de sauter, gambader et japper. Et moi, le sublime, qui offrais sa fourrure au regard admiratif de ces dames dans les salons de beauté, le pelage lustré par ma maîtresse, que suis-je devenu ? Ô rage, ô désespoir, je suis un effondré, un Mastiff inconsolable, ma seule étoile est morte et je
me sens esseulé, mort-vivant, aveugle, absent ! Ils viennent me voir, m’exposer les médailles de mes concours. Ça me laisse froid. Je n’ouvre même pas l’œil, cet œil trompeur qui semblait si paresseux mais restait à l’affût de tout.
Tiens, c’est le printemps ! Un oiseau chante sur une branche. Mes oreilles se dressent. Je me redresse. Je remue la queue. Mon appétit s’aiguise. Je revis. J’ai flairé de la chair fraîche.
Personne n’a remarqué ma métamorphose. Profitons-en ! J’ai perdu de ma lourdeur, je passe inaperçu ! J’amasse ma musculature. Je me tiens prêt. J’ai recouvré mes esprits. Le chat rampe sur le tronc et traque l’oiseau. Et moi, je sais bien qui va courir après le chat ! Vont-ils encore vouloir me frapper ?
Point de vue du chat, sans adjectif :
Bon débarras ! Ce plein de soupe ne me coursera plus ! Nom d’un chien ! Tout lui était permis à c’t’animal ! La nourriture n’était que pour lui ! Et toute l’attention de surcroît ! Et, en sus, les sorties avec les maîtres! Pfut ! Pas besoin de ça, moi ! J’ai ma sortie privative, je suis un indépendant ! Je n’ai pas besoin d’être materné comme ce mastodonte qu’on exhibe dans les foires et se permet, ici, de salir tout en laissant son odeur pestilentielle. Pouah ! En plus, ce salopard vient chaparder dans mon écuelle et a même l’audace de renverser mon eau !
C’est un sans gêne à qui on lustre le poil, incapable de se laver seul ! On l’emmène chez le « toiletteur », Monsieur ! Pourtant, il n’a rien d’esthétique, ce laideron couvert de médailles, c’est insensé ! Les gens marchent donc sur la tête ! On ne remarque même plus ma pelisse de Perse que je lustre régulièrement ! On m’oublie ! A peine une caresse ! On omet même de changer ma litière !
Ah ! Mais il y a quand enfin une justice dans cette maison ! Il était temps ! Il s’est fait rosser, l’imbécile ! Ce crétin a pris les jambes d’une femme pour une paire de saucisses ! Et on continue de vouloir le garder chez nous ! Remarque que depuis sa raclée, il se tient à carreau !
Il a l’air encore plus abruti! Mais, ô comble de l’ironie, on l’a encore plus choyé, cet ectoplasme ! Ces dames des concours viennent même prendre de ses nouvelles ! On leur offre le thé et des friandises pendant que le malotru ronfle au coin du feu ! Mon feu ! Je n’ai même plus le droit de ronronner près de l’âtre ! La place est occupée ! Ils ont transféré mon panier dans l’entrée. De quoi déprimer, je vous l’assure ! Mais je me change les esprits ! Je sors, je chasse, et je découche la nuit ! Je suis libre, moi !
Pauvre nounours traumatisé qui a perdu sa voix ! Quelle aubaine, je ne l’entends plus aboyer !
Tiens, qu’est-ce que c’est ? Un merle, ma foi ! Oh ! Mais la branche est bien basse. Il ne va pas chanter longtemps, celui-là ! Tiens, prend ça ! Aïe, mais qu’est-ce qui me tire la queue ?
Aïe ! Mais, il voudrait bien m’avaler c’t’animal ! Mais c’est lui !! ll s’est réveillé ! Taillot ! Fini la liberté ! Adieu ma queue !
Point de vue de l’oiseau, sans adverbe :
C’est le printemps. Je chante, je chante à gorge déployée ! Je suis heureux de réchauffer mes plumes aux lueurs de l’astre naissant ! Je reviens, ici, tous les matins. C’est ma cantine ! Le maître des lieux distribue des graines aux oiseaux tout l’hiver ! J’en profite! Mes confrères pépient toute la matinée et moi, le coq des volières, je me tais et je picore ! Je ne siffle qu’au petit matin ! Avec mon confrère, le coq, on réveille la contrée ! En été, il n’y a plus cette manne providentielle pour moi. Les maîtres rentrent les provisions. On n’en a plus besoin. Il y a les succulentes baies, les graines de blé, les vers qui se tirent comme des élastiques !
Profitons du moment présent, du jardin, des graines de ces généreux donateurs, des fleurs qui commencent à éclore et embaume l’air de leur parfum ! Hum ! Ça Ca sent bon ! Laissons-nous enivrer ! Chantons et glorifions la nouvelle année !
Lorsque je me pose sur cette branche, j’aperçois à travers la baie vitrée, ce gros chien souffreteux qui a l’air de ne rien y comprendre. Il n’était pas comme cela ! Il courrait dans le jardin en effrayant toute la volière ! Qu’est-ce-qu’il a le pachyderme ? Il se traine comme un revenant. Il a perdu son poil, n’a plus de stature ! Ça doit être un vrai drame pour ce roi des canins qui faisait l’admiration de tout le quartier. Il n’est pas vif, l’animal ! Quand je vois ce ramollo, et nous, les oiseaux, agiles et indomptables, on peut sourire ! Notre genre rechigne à être enfermé et même si cela était, il suffit d’ouvrir la porte pour qu’on ne nous retrouve plus !
Ce chien est si frileux qu’il se réchauffe près de l’âtre comme un vieux molosse en fin de vie. Et à la place du chat, de surcroît ! Ah ! Le chat ! Il l’a bien expulsé le chat, ce colosse ratatiné ! Bien fait ! Le chat, cet hypocrite, cet assassin, ce tueur de volatile qui n’a de cesse de revenir à l’attaque ! A propos, que fait-il, le chat ? Sans doute en train de gratter dans sa litière, furieux d’être relégué dans le corridor ! Il paraît qu’il chasse les loirs et les mulots en hiver. Quant à faire, autant se débarrasser du chat que de l’ectoplasme !
Tiens, il se lève le Mastiff ! Pas très beau à voir, ma foi ! Ma parole, on dirait qu’il reprend du poil de la bête. Miracle ou hallucination ! Que regarde-t-il de son gros air benêt entre les
replis de sa peau. Oh ! Oh ! Je connais ce regard, cet œil inquisiteur ! Ça sent le roussi ! Où es le chat ? Vite, tirons-nous, changeons de branche ! Aï ! On m’a arraché une plume ! Le chat ! Au secours ! Il va m’piquer mes plumes !
photo Jean-Paul Privat
