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  • Isabelle Vier

Quoiqu’il en soit

Quoi que je fasse, ça ne suffit jamais. Alors je fais, toujours plus, toujours mieux : il y a toujours à faire, à améliorer. Le souci, si cela en est un, est que je ne savais plus m’arrêter.


Je devrais remercier ma mère car, mine de rien, si je suis ce que je suis aujourd’hui c’est certainement grâce à elle. Elle attendait beaucoup de moi. Je ne sais pas comment cela lui est venu,

probablement parce qu’à deux ans je savais déjà compter. Quoiqu’il en soit à cinq ans je suis rentrée en CE1, sans passer par le CP. Oui, j’ai appris à lire pendant les récrés alors que mes camarades

jouaient à la corde à sauter. J’ai détesté ce CE1 car je détestais lire à haute voix devant toute la classe qui se moquait : je lisais comme un bébé. Mais bon, j’étais la fierté de ma mère. Tout bien

considéré elle devait l’avoir mérité : je pense qu’elle me devait me faire répéter le soir à la maison mais je n’en ai aucun souvenir.


Un jour un instituteur a voulu me faire redoubler : une enfant trop jeune dans sa classe à double niveau, c’était trop ! J’ai bien cru que ma mère allait devenir folle. « Ah bon, il veut te faire redou-bler car tu n’es pas bonne en orthographe ? Ma fille, on va lui montrer ! » Je me souviens avoir développé une tactique pour obtenir le zéro faute. La première fois que c’est arrivé, l’instituteur a relu trois fois ma copie : de haut en bas, de bas en haut, de haut en bas. Ça lui a fait bizarre de devoir me mettre un 10/10. Je me souviens encore de son unique marque d’encre rouge faite en rajou-tant un accent à un mot sur mon cahier. Le soir venu, heureuse, le cœur gonflé à bloc j’ai couru annoncer la nouvelle à ma mère : « Maman, maman, j’ai eu un 10 en dictée ! » Sa réponse m’a foudroyé : « Il n’y a pas de quoi se vanter ». Ce jour là j’ai eu envie de mourir, j’avais 9 ans ! Alors je me suis remise au

travail car ça ne suffisait pas.


Heureusement j’étais une petite fille curieuse : j’avais toujours besoin de savoir comment les choses sont faites, de quoi elles sont faites, à quoi elles servent. Adolescente je démontais les objets pour regarder comment ils étaient conçus ou simplement je dépannais ce qui ne fonctionnait plus. Un jour j’ai même « cramé » le voltmè-tre de mon père : il a hurlé dans la maison mais je me sentais plus

penaude d’avoir raté qu’affecter par ses réprimandes. Aujourd’hui on en rit. Par contre, à la maison, quand je faisais un truc de travers et que j’étais réprimandé par ma mère, j’avais le droit à son

sempiternel : « Mais de quoi je me mêle, occupe toi plutôt de tes affaires. ». De quoi me remettre vite à ma place.


Heureusement que la vie nous apporte bien des choses agréables. A 18 ans j’ai quitté la maison pour suivre mes études : la délivrance. Et des études j’en ai fait, les plus longues et en double car un seul cursus ce n’est pas suffisant. Quand j’ai parlé à ma mère de ma volonté de poursuivre mes études j’ai eu le droit à « Et puis quoi encore ? Tu nous prends pour Rothschild ? Tu devrais être heureuse qu’on t’ait laissé faire jusque là. On aurait pu te faire arrêter après le BAC comme ta copine Carole et te faire travailler pour que tu ramènes de l’argent à la maison. Estime toi heureuse d’avoir de bons parents ». Ce jour là j’ai senti comme un danger : il fallait absolument que je me détache de ce foyer fiscal pour que je puisse garder ma liberté de continuer à faire ce que j’aime.


Alors je suis partie à la capitale pour finir mes études loin de mes parents. Et j’ai continué à faire, à apprendre sans relâche car cela ne suffisait toujours pas. Mon chemin était parsemé de petites

remarques réconfortantes : « Ah j’étais persuadé que ces études étaient difficiles mais puisque tu les as faites… »


J’ai continué à avancer, à construire, à faire, toujours plus, toujours plus loin. Puis un jour j’ai croisé une belle âme bienveillante qui a réussi à me stopper dans cette course vers je ne sais quoi. Il a simplement dit : « Wha, c’est super, tu as bien travaillé, bravo. » Ce jour là, je suis rentrée chez moi, je me suis pausée. C’était la première fois que j’ai eu envie de ne rien faire, de me reposer. J’avais 37 ans !


Aujourd’hui je continue à apprendre, à faire et à construire mais de temps en temps je ne fais rien ! Ces jours là je les appelle « Les jours de Vie » car ce sont les seuls moments où je ne fais que vivre. Quant à mes parents, je ne sais toujours pas ce qu’ils attendaient de moi mais une chose est certaine, comme le disait Joël Dicker « On ne sait jamais de quoi les gens sont capables. Surtout ceux qu'on croit bien connaître. »

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