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  • Laurence de La Chapelle

Gentilhommes et enjôleur

Dernière mise à jour : 7 déc. 2020

Le Comte Regarder, mon cher, comme il marche sur des œufs !

Le Marquis On pourrait croire, Comte, qu’il se prend les pieds dans un cerceau. C’est surprise qu’il tienne si aisément son équilibre ! Cet homme est un farfadet, ma foi !

Le Comte J’opinerai qu’il prend le cerceau pour son cerveau

Le Marquis Vous n’avez pas tort ! Il fait fi des bons usages, admirez comme il louvoie et retombe sur ses pieds, le chenapan !

Le Comte : Parce qu’il est jeune ! C’est un chien fou ! Il parle comme il aboie ! Rien ne l’arrête ! Ecoutez-le ! Il s’emmêle les pinceaux et en perd son latin !

Le Marquis Fichtre ! A force de se balancer et d’onduler comme une anguille, il me donne le tournis ! Regardez-le faire ses ronds de jambes à Mme de Saint Gris !

Le Comte Et il en profite pour jeter un coup d’œil dans son décolleté, le lascar !

Le Marquis Il en profite. C’est de bonne guerre. Elle le laisse mirer à tout venu, ma foi !

Le Comte Que dites-vous ? Mme Saint Gris est une honnête femme. Sapristi ! Le bougre manque totalement de retenue, il y fourre même le museau !

Le Marquis Elle ne s’en trouve pas fâchée, regardez donc ! Cela la divertit bien, il me semble !

Le Comte Vous me la baillez belle, je n’y crois pas ! Vous vous méprenez sur Mme de

Saint Gris, Marquis !

Le Marquis Apprenez, mon cher, qu’à l’heure, les coutumes changent ! Les femmes perdent de leur vertu ! Ne vivons-nous pas un siècle où elles se transforment en femmes savantes et où les maris s’en voient ridiculisés et cocus !

Le Comte Certes, Marquis, il faut être de votre noblesse pour pouvoir en parler ainsi !

Le Marquis Non pas, comte ! Votre jugement n’est point des moindre et ne me prenez pas non plus pour un sot ! J’ai remarqué comment votre regard s’illumine lorsque vous oeillez Mme de Saint Gris. J’aimerais, à ce propos, vous tirer les vers du nez ! En pincez-vous si fort pour la Belle que vous n’osez l’avouer. C’est tout à votre honneur, il est vrai ! Vous êtes donc un homme de sentiment, mon cher Comte !

Le Comte Et qu’en est-il pour vous, Marquis ? Ne seriez-vous traversé par quelque jalousie que vous suiviez la scène avec tant d’intérêt ?

Le Marquis Vous vous méprenez et me faites injure, Monsieur ! Mme de Saint Gris pourrait être ma fille !

Le Comte Que Neni ! Et elle est loin d’avoir l’âge qu’on lui attribue !

Le Marquis Comment le savez-vous ? L’avez-vous côtoyée de si près, Comte !

Le Comte Je n’en suis pas chagrin. Il est vrai je lui porte amitié. Mais de voir ce méchant, faire ombrage à ses charmes, m’assombrit. Et vous, Marquis, votre cœur s’allierait-il si peu à votre courage que vous masquiez vos désirs de soupirant. Il m’est revenu aux oreilles que vous lui contiez fleurette !

Le Marquis Voyons un peu, c’est ridicule, Comte. Vous me connaissez bien mal ! Je déplore seulement que cet individu ne soit point un homme, il n’a rien de généreux ! Vous ai-je piqué au vif, Comte, que je vous vois cramoisi ! D’où vous vient telle imagination à mon propos ? A vous voir, je croirai que vous mourrez de jalousie ! Signifiez-vous vraiment que je porte quelque intérêt à la Baronne de Saint-Gris ?

Le Comte En quoi, Marquis, serait-ce un égarement ? Voudriez-vous ravir la belle que je ne vous porterais bien volontiers main forte, je vous le concède !

Le Marquis Ah ! Nous y voilà ! Vous ne vous esquivez plus ! Ouvrez-vous donc à moi ! Je suis de vos amis, mon cher, vous le savez. Portez-vous tant intérêt à Mme Saint Gris que vous mépreniez sur mes intentions ?

Le Comte Non pas ! Je lui voue toute ma considération mais je reconnais que ses charmes peuvent en troubler plus d’un !

Le Marquis Regardez-moi encore cet amuseur de galerie qui entoure la Belle de ses drôleries. Tel un liseron, il la ligote et elle ne peut plus s’en dépêtrer. D’où lui vient telle effronterie telle adresse ? J’en suis jaloux, je l’avoue, moi qui me suis rendu maître dans l’art de l’à-propos et de la pertinence et suis incapable de vivre sans ma canne. Ah ! Il vaut mieux se tenir à l’écart de cet animal qui excelle dans les prouesses de haute voltige à vous fait pâlir d’envie ! Mais regardez l’insolent ! Il fait la nique au mari ! Diable, on se croirait en plein spectacle ! Toute la galerie n’a d’yeux que pour lui !

Le Comte J’avoue que je n’ai pas plaisir à le voir agir de la sorte et que j’en suis marri !

Le Marquis Voyez bien, Comte, que vous portez intérêt à la Belle de Saint Gris ! Vous ragez à présent !

Le Comte Neni ! Je respecte les convenances ! Madame de Saint Gris est de mes amies. Chaussez vos lorgnons, Marquis, la scène est des plus surprenante ! Madame vient d’être secourue par son époux !

Le Marquis Oh ! Comme il plairait à mes yeux de voir ce coquin rossé par cette bedaine sur patte ! Ah ! Dommage ! Le polisson ne s’est pris qu’une tape et repart la queue entre les jambes ! Le mari a si vite oublié l’incident qu’il s’en est retourné se gorger au buffet !

Le Comte Non pas ! Le gaillard ne s’en tient pas pour dit ! Le voilà qu’il s’en retourne vers Mme de Saint-Gris !

Le Marquis Ah ! Mais il y a, certes, de quoi se gausser !

Le Comte C’est en manière de connaisseur qu’il use de la pirouette pour se sortir de l’impasse ! Le gaillard est loin d’être bête, ma foi !

Le Marquis M’est avis que poudré et mieux accoutré, ce coquin serait capable de dévorer la Belle avec la fourchette du père Adam ou mieux encore, de tous ses crocs mal lavés ! Fichtre, il n’a pas son égal dans l’art des courbettes et des flatteries !

Le Comte Loin de moi ce serpent d’eau duce, ce tortueux !

Le Marquis Allons, Monsieur le Comte ! Qu’attendez-vous pour porter rescousse à la belle esseulée. Ne voyez-vous pas que le moment est opportun ! La Dame ne sait plus où donner de la tête et ce bêta de mari est aux vins fins et aux friandises. Jouez de vos atouts, vous ne trouverez pas meilleure occasion ! Montrez-moi votre finesse, surprenez-moi ! Que le spectacle continue ! Je vous donne en mille que vous gagnerez la partie.

Le Comte Vous croyez, Marquis ? Vraiment ou est-ce une boutade !

Le Marquis Pour sûr ! L’occasion est trop belle. Vous m’en voyez ravi ! Vous conservez la jeunesse et avez la cuisse agile et bien faite. Moi, j’ai passé l’âge de séduire les grammairiennes et les femmes savantes. Allez, ouste, épatez-moi, Compte, montrez-moi vos talents cachés ! De l’audace ! Que le spectacle continue ! Je m’amuse trop ! Je parie sur votre prestation dix Ecus ! Ce n’est pas rien ! Le prix d’un beau spectacle à la Cour, tout près du Roi ! Allez jeter votre flamme et vos malices au pied de la Dame et, bottez-moi le train de cet effronté qu’il en retourne dans sa niche!


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