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Le village abandonné

de Michèle Sartout

Jadis la vie surgissait de toute part. Les petites filles jouaient à la marelle. Les garçons en short court se poursuivaient. La vieille assise sur son banc tricotait. Le vieux affûtait son couteau l’esprit ailleurs. Tous attendaient le dimanche avec grande impatience. Le dimanche ! Jour de repos bien mérité. Le dimanche ! jour de fête au village. Le dimanche ! jour du repas de famille. Tout était prétexte à faire la fête. Les moissons, les mariages, les baptêmes, même la mort. Souvent, les voisins venaient partager le repas. Le père rompait le pain, buvait le vin. La mère s’affairait dans la cuisine. Ça sentait bon le pain chaud, croustillant. Durant la veillée on se racontait des histoires. Les petits avaient peur, les grands riaient. Les vieux se reposaient auprès de l’âtre. On les respectait les vieux ! et on les aimaient. A cette époque on mourait chez soi. On avait plus toute sa tête. Mais c’était pas grave, on était entouré. Aujourd’hui, il ne reste que quelques âmes. Les jeunes sont partis à la ville. Ils n’ont pas connu les jours heureux au village. Ils n’en possèdent que les photos jaunies. Ils se sont mariés, ont fait de beaux enfants, ont de belles situations. Ils reviennent parfois avec leur grosse voiture. Ils rêvent d’y acheter une maison aux murs lézardés, de la rénover. Mais ils ne restent guère longtemps. Juste le temps de fleurir le cimetière. Juste le temps de d’embrasser la vieille tante. La vielle tante qui se meurt à l’EPHAD. Eux ils sont pressés, presser de repartir, pressés de retourner au bureau. Ils ne vivent pas, ils courent. Ils courent après le temps qu’ils ne rattraperont pas. Et puis, un jour ils seront obligés de fuir la ville. Une maladie inconnue envahira leur monde. Ils se réfugieront dans la maison aux murs lézardés. Au début, ils ne supporteront pas le silence, ils s’ennuieront. Et, doucement, sans prévenir, la sérénité s’installera. Chaque jour ils flâneront sur les chemins ombragés. Ils regarderont la nature s’épanouir. Feront connaissance avec les derniers habitants du village. La vieille tante mourra, seule, dans sa chambre. Ils réaliseront alors qu’ils ne la reverront plus et ils pleureront. Ils pleureront sur leur sort, sur leur vie pleine de vide. Le jour du départ, ils se promettront de revenir. Mais la vie reprendra son cours. Les murs de la maison continueront à se lézarder. Les fleurs du cimetière faneront. Le village se rendormira de nouveau abandonné. S’ils étaient restés, la maison aurait retrouvé sa fierté d’antan. Les enfants se seraient épanouit sous l’air vivifiant et pur. Ils auraient retrouvé un travail, moins bien payé, mais seraient heureux comme ça. Les amis de la ville leur rendraient visite et les envieraient. Ils les convaincraient de rester, et ils resteraient. Eux aussi. Peu à peu les villageois, au début réticents, s’habitueraient à leur présence. Ils organiseraient des fêtes, pour les grands jours. On danserait, on chanterait, on s’aimerait. Le village revivrait. Les familles s’agrandiraient, les enfants ne partiraient plus à la ville. Et eux, les deux petits vieux n’iraient pas à l’EPHAD. Assis sur le banc, sous la glycine, lui affûtant son couteau, elle un livre ouvert sur les genoux, attendraient que la mort les cueille. Tout simplement.


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