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La double évasion

de Martine Kahan Cela fait quelques temps que je suis dans cette maison de retraite. C’est pour moi, une seconde prison. J’occupe la même chambre que Mme Bep Vosky, nous sommes d’ailleurs arrivées ensemble, le même jour. C’est une femme très digne, sauf que maintenant elle est morte. Rien d’extraordinaire à cela : la gourde de Miep avait encore laissé hier soir, la fenêtre ouverte. Mme Vosky n’a pas tenu le coup. Elle aurait pu se lever dans la nuit pour aller la fermer, mais elle ne pouvait plus marcher. Je viens juste de me réveiller. Je suis gelée. Mais ils vont bientôt revenir, car le jour est en train de se lever. Le matin, c’est Peter qui s’occupe de nous. C’est un garçon sympathique et qui sait écouter. Mme Vosky aimait bien parler avec lui. Avec moi aussi d’ailleurs. J’aimais quand de son lit, elle me regardait et me disait des mots gentils. Je vais être obligée de changer de chambre. C’est ennuyeux car je ne connais pas les autres pensionnaires. En fait j’aimerai mieux m’en aller, quitter cette prison et rentrer chez moi. Je viens de loin, des Iles, je crois, mais je ne m’en souviens plus très bien. La dernière fois qu’il est venu la voir, Mr Kleinman a lu, à Mme Vosky, un article qui parlait de mon pays. Lui, il y était allé, mais c’était il y a longtemps et, il a dit que ça avait dû changer depuis. Même si je ne retourne pas au pays, je veux sortir. C’est simple, ici, je me sens doublement en prison. Si je réussis à m’évader, la première chose que je ferais, sera d’aller directement au Parc Montsouris. J’ai tellement envie d’être dans la nature. Je sais que ce n’est pas loin d’ici, en faisant un effort, je peux y arriver. J’en rêve depuis si longtemps ! Je vais m’arranger pour filer, lorsque Miep sera de service. Je ne veux surtout pas que Peter soit ennuyé à cause de moi. Miep n’est jamais très prudente dans son travail et il me suffira de repérer le moment propice pour m’échapper. La porte s’ouvre. « Bonjour tout le monde ! » lance Peter. D’habitude, Mme Vosky lui répond en riant « Bonjour tout seul !». Mais là, rien. Peter s’approche de son lit. Il se penche sur elle et lui parle doucement. Il comprend tout de suite que pour elle s’est fini. Il prend son téléphone et alerte ses collègues. Très vite, ils défilent dans la chambre. C’est le Dr Van Daan qui arrive le premier, suivi de Mme Kluger, la Directrice et d’une infirmière. Très vite ils emportent Mme Vosky sur un chariot. Peter ouvre en grand la fenêtre et commence par défaire le lit. Enfin Miep arrive, en retard, comme d’habitude. Il est de mauvaise humeur Peter, non plutôt triste, et lui dit brutalement de s’occuper de moi. Je la vois revenir dans la chambre avec de la nourriture et un pichet d’eau. Elle est toujours aussi renfrognée quand elle s’avance vers moi. Je dois lui faire un peu peur ! Lorsqu’elle approche la main pour me donner à manger, je m’ébroue énergiquement et je lui donne un coup. Elle lâche le pot d’eau en s’écriant : « La sale bête, elle m’a fait mal ! », et va rejoindre Peter, qui de la salle-de-bain lui crie « Mais qu’est-ce qui t’arrive encore ? ». La porte est restée ouverte et dès que Miep a pivoté sur ses talons, un peu désorientée quand même, je m’échappe de ma cage et je réussis à m’envoler par la fenêtre. Ça y est, je m’éloigne de mes prisons. J’arrive très vite au Parc Montsouris où Bep m’avait recueillie lorsque j‘étais tombée de mon nid. Quelle joie de survoler les arbres, de sentir le vent sur mes ailes. Je suis libre, un peu ivre aussi et je me pose dans ce grand frêne où je retrouve ma famille, la bande de perruches qui vit là depuis plusieurs années.

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